Précisions sur la réhabilitation du Tunnel de La Havane

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Suite à la publication d’une référence à l’intervention de notre association pour la réhabilitation du tunnel de La Havane, notre ami Fabien Buhler, Président de la société Devexport, nous a transmis les précisions suivantes, qui montrent le rôle décisif de cette dernière dans la réalisation des travaux. Nous sommes satisfaits de les porter à votre connaissance. Au-delà de ce chantier, la société DEVEXPORT développe depuis plusieurs dizaines d’années une activité permanente pour les relations commerciales de notre pays avec Cuba et nous nous en félicitons.
Roger Grévoul

 

Bonjour Victor,

 

Je t’écris pour m’élever à l’encontre de l’article des « brèves de la semaine 24 », qui raconte de manière inexacte l’histoire initiale de ce tunnel, pour au final attribuer à Cuba Coopération l’essentiel du mérite de sa réhabilitation.

Une récupération abusive de ce qui a été à divers égards une performance remarquable de Devexport – et remarquée par le Ministre Alvaro Perez Morales.

 

Sur la partie initiale de l’histoire, ce que raconte Juventud Rebelde est la construction du tunnel antérieure à la Révolution Cubaine, en omettant un détail d’importance pour comprendre la suite : le contentieux qui a surgi en 1956, avant même l’inauguration officielle, en raison de l’inondation du tunnel qui s’est produite du fait d’une tempête survenue alors que le canal de collecte des eaux pluviales situé à la sortie côté Cabaña, qui aurait dû être réalisé avant la pose des éléments du tunnel, n’avait pas encore été creusé : toute l’eau de cette tempête tombée sur le triangle d’entrée de l’autoroute s’est engouffrée dans le tunnel, qui s’est, sous le poids, enfoncé de plusieurs dizaines de centimètres ; il en est resté des fissures, notamment aux liaisons entre les blocs de béton constitutifs du tunnel.

 

GTF avait alors renvoyé la faute à l’entreprise cubaine qui n’avait pas exécuté à temps cette part de travaux, version que le Maître d’ouvrage cubain contestait…puis il y eu la Révolution, et aucun règlement n’est intervenu.

 

Bien longtemps après, vers 1997, lorsque le tourisme commençait à procurer des ressources en croissance, le Département de Voirie (Vialidad) du Mitrans a jugé urgent d’entreprendre une réhabilitation de l’ouvrage que menaçaient les fuites de plus en plus importantes, le mauvais fonctionnement de la station de pompage, les pannes électriques, le mauvais fonctionnement de la porte métallique de fermeture côté Havane (en cas de montée exceptionnelle de la marée), l’irrégularité de l’éclairage, etc…Le CETU (Centre d’Etude des Tunnels, entité publique française de Lyon) accepta de faire une étude pour un audit technique, qui définit une liste des travaux urgents à entreprendre.

 

Le Mitrans tenta une approche de GTM, qui avait un mauvais souvenir du contrat précédent, et sa crainte de principe était confortée par l’attitude négative du Conseiller Commercial Français Dominique Simon.

Or dans la même période, le Mitrans avait été approché par le syndicat CGT de la SNCF, lui faisant valoir que des formations de train TEE d’occasion, construits selon des normes compatibles avec le réseau cubain, étaient à vendre et que ce serait une bonne solution, il tenta de négocier avec la SNCF. Mais celle-ci demandait un paiement d’avance pour « réserver les trains à rénover », ce que la loi cubaine n’autorise pas et dont le Mitrans n’avait pas les moyens – les services de Bercy rejetaient de garantir un financement autant pour le tunnel (« une mauvaise affaire qui rajeunirait un vieux contentieux » nous dit un chef de bureau) que pour les trains d’occasion (« de la ferraille sur roue » selon les mêmes fonctionnaires). Il faut dire que ces fonctionnaires, dont certains pantouflèrent ensuite chez Thalès, voulaient faire place nette pour imposer l’achat des radars de cette société – qui n’étaient pas conformes aux normes régionales caribéennes que les cubains voulaient respecter.

 

Dès les premières difficultés, le Mitrans s’est adressé à Devexport, avec qui il avait des relations de grande confiance – le Mincex l’avait présentée dès 1992 au Vice-Ministre Joachim Benavides pour discuter avec lui le problème des transports maritimes via Pointe-à-Pitre, car les bateaux russes ne venaient plus et les bateaux cubains étaient en piteux états ; les marchandises livrées depuis l’Europe avaient du mal à être acheminées. Devexport avait un accord avec CGM pour ses livraisons du Portugal sur Martinique et Guadeloupe, et avait établi le premier contact entre CGM (devenu peu après CMA-GGM) et le Mitrans, vous savez comment cette relation a prospéré. Par la suite, en 1995, Devexport était devenue le représentant de Geismar à Cuba, et avait vendu des matériels d’entretien de voies ferrées de ce fabricant français.

 

En raison de cette relation de confiance, le Ministre Alvaro Perez Morales convoqua Devexport dans l’hôtel où il résidait à Paris en 1997 pour lui demander de prendre en main ces deux opérations – achat des trains d’occasion et réhabilitation du tunnel (auxquelles fut rajouté un volet Geismar) en tant que coordinateur principal et financeur des projets. Peu expérimentée en travaux publics, Devexport hésitait, mais le Mitrans lui expliqua l’importance historique de cette responsabilité face au risque de fermeture de cette artère vitale pour la capitale cubaine, et pour cela elle releva le défi.

 

Devexport s’assura les services de l’ingénierie Simecsol (M. Chopin) pour préparer les appels d’offres des travaux du tunnel, procéda aux appels d’offre auprès de 4 entreprises dont GTM, le gagnant de la prestation principale fût ETDE (filiale de Bouygues, dont ce fût le premier gros contrat à Cuba), qui souhaitait toutefois se limiter aux travaux électromécaniques et ne pas prendre en charge les problèmes d’étanchéité, pour ce lot Devexport a retenu en accord avec Vialidad, l’entreprise Etandex. La UCT du Micons réalisait les travaux de Génie-Civil hors étanchéité et de montage des équipements, avec coordination par Devexport. Nous avons accueilli le Ministre Alvaro Perez Morales le 28 Juillet 2000, en nos bureaux, et lui avons fait visiter en suivant 2 tunnels un peu comparables en Région Parisienne – celui de St Cloud sur l’A13, réhabilité, et celui de La Défense vers la A14)- dont les travaux avaient été réalisés par nos entreprises partenaires (cf. programme joint). L’offre de GTM était 20% au-dessus du total de celles d’EDTE plus Etandex, elle n’a donc pas été retenue – d’ailleurs ses responsables concernés nous ont avoué n’être guère intéressés à rouvrir ce qui était à leurs yeux un contentieux préhistorique.

 

Une démarche à haut niveau pour le financement du Gouvernement Cubain (Carlos Lage et Ricardo Cabrisas reçus à Paris) obtint un arbitrage encourageant de Dominique Strauss Kahn, alors Ministre de l’Economie, proposant un partage : 50% réglés cash par Cuba et 50% sur crédit moyen terme garanti par la Coface. Les mêmes fonctionnaires qui s’étaient opposés et que le Ministre avait contourné enterrèrent cette garantie, restait le cash mis en place par le BFI.

 

N’ayant pas obtenu de garanties publiques pour ce projet, Devexport et la Directrice Financière du Mitrans, Maria del Pilar Tuero (dite « Chelly »), qui constituait la dream-team de ce projet avec Homero Crab Valdès le Directeur de Vialidad, Luis José Martinez Menocal, dit « Lucio », Directeur de planification du Mitrans, et Francisco Garcia Lopez, dit « Frank », le DG de l’importateur Tradex signataire des contrats, conçurent ensemble une structure financière très originale et performante, mise au point par Devexport avec l’aide de BBVA-Paris : des garanties « offshore » provenant des flux de paiement à Servimar des frais d’escale de navires européens dans les ports cubains garantissaient si bien les paiements sur 3 ans qu’il fût impossible de suspendre tout paiement en 2002, lorsque la chute du tourisme provoquée par le 11 septembre 2001 (les touristes avaient peur de prendre l’avion) a brutalement vidé les caisses cubaines. La charge de la part finançable de 30% (compte-tenu de la réduction du projet par l’abandon d’un train sur 4, le montant du cash BFI étant maintenu et le budget du tunnel révisé à la baisse grâce aux négociations d’achat) a été répartie entre Devexport et ses principaux fournisseurs : SNCF, ETDE et Geismar ont chacun financé une part du crédit contre délégation des garanties correspondantes. De ce fait le crédit était gratuit (sans intérêts), cas très rare en cette période de taux élevés.

 

Devexport, coordinateur principal des travaux du tunnel, a mis en place à La Havane pendant 2 ans un agent coordinateur des travaux, François Gil, chargé de l’interface entre les entreprises cubaines de génie-civil et les fournisseurs français de produits, équipements et services. Et bien sûr assurait l’appui permanent de son bureau local, où les entreprises pouvaient se réunir et disposer de moyens de liaison.

 

Cette performance a valu à Devexport de recevoir du Mitrans une plaque de « Reconocimiento » pour la réussite de la réhabilitation du tunnel sous la baie de La Havane, réalisée dans les délais convenus. Je joins une photo de cette plaque ; je me souviens d’avoir envoyé à Roger Grévoul il y a 20 ans une lettre explicative sur ce même sujet, déjà !

 

J’apprécierais que Cuba-Coopération complète l’information donnée sur cette opération afin de rendre à chacun ce qui lui revient – la démarche de CCF que vous rappelez n’ayant été qu’une tentative infructueuse de convaincre GTM, dont le Mitrans a retenu qu’il fallait prendre ce projet d’une autre manière.

 

Merci de communiquer ces informations à la Présidence de Cuba-Coopération, dont je salue le travail en matière de solidarité, au-delà du prisme déformant mis parfois sur les lunettes.

 

Amitiés à toi.

 

Fabien Buhler