Saper l’emprise de la bureaucratie !

Une guerre difficile, mais une mission pas impossible...

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Un article publié sur le site cubain BOHEMIA.

Si vous voulez mesurer -vraiment- comment se passe l’excès de bureaucratie à Cuba, osez lancer une procédure liée au logement.

Je vous assure qu’entendre l’histoire n’est pas la même chose que de la subir de première main. Il y a quelques années, accablée par certaines absurdités et "dérapages" technico-juridiques, j’ai renoncé à transférer la propriété de la maison de mes parents à Marianao. Ou j’aurais fini à l’hôpital psychiatrique

La guerre contre la bureaucratie, aussi difficile qu’elle puisse paraître, n’est pas une mission impossible.

Illustration par Lacoste.

Depuis le milieu de l’année 2021, je me heurte à nouveau à des obstacles similaires dans ma tentative d’aliéner la maison où je vis avec mon mari depuis plus de deux décennies, à Arroyo Naranjo. Quelques rues seulement séparent les Directions Municipales du Logement et de l’Aménagement du Territoire, ce qui semble suffisant pour vous faire courir d’un côté à l’autre, comme si vous participiez à un marathon olympique.

Avec une impudence regrettable, certains fonctionnaires rendent les autres responsables du retard d’une procédure qui, selon les règles, est exécutée d’office pour les locataires ayant des droits. Le plus "sympa" dans cette affaire, c’est que lorsque vous vous plaignez d’une telle impolitesse et d’une telle violation de la loi, ils font même des "grimaces" offensées. Car oui, la bureaucratie a un visage, et se croit au-dessus du bien et du mal.

Depuis les premières années de la Révolution, et jusqu’à aujourd’hui, malgré les critiques répétées du discours politique, la bureaucratie excessive ou le bureaucratisme se maintient comme une mauvaise herbe dans les sphères les plus diverses.

Il y a eu de nombreuses tentatives pour l’éradiquer, mais ces efforts n’ont pas porté les fruits escomptés. A ce stade, on discute encore de la séparation des fonctions de l’Etat et des entreprises, des effectifs pléthoriques, du bureau ministériel chargé de l’humain et du divin... Et pire encore, il survit, bercés dans le giron bureaucratique, des pots-de-vin, des illégalités et de la corruption administrative.

Il semble donc que le dicton de Max Weber sur le caractère fatal de la bureaucratie soit valable en tant que noyau de toute organisation humaine, créé par le capitalisme, mais auquel le socialisme ne peut échapper. "La question est toujours la suivante : qui domine l’appareil bureaucratique existant ?" La question du sociologue allemand nous amène à dévoiler pourquoi il a été si difficile de tenir ce fléau à distance, dans un projet comme celui de Cuba, qui aspire à la plus grande justice possible.

Agustín Lage Dávila, avec sa perspicacité scientifique, prévient : "La meilleure définition de la bureaucratie est qu’il s’agit d’une façon de penser et d’agir dans laquelle les procédures sont plus importantes que les objectifs. Le report ou la limitation des objectifs est accepté en échange du respect strict des procédures établies ; ceux qui ne respectent pas les procédures sont fortement pénalisés et ceux qui visent des objectifs disciplinés mais limités sont peu pénalisés. C’est ce qu’on appelle le "risque asymétrique". Elle conduit progressivement à l’abandon d’objectifs audacieux. Et ceci est très dangereux dans les moments historiques où beaucoup de créativité sociale est nécessaire, comme aujourd’hui dans notre chère Cuba socialiste.

En termes de pathologie sociale, affirme la prestigieuse essayiste Graziella Pogolotti, l’action et la pensée bureaucratiques ralentissent le développement des forces productives, conduisent à la stagnation quand une nouvelle dynamique est nécessaire, ternissent l’image de l’État quand la réaffirmation de son rôle est imminente et, surtout, au milieu des difficultés bien connues, introduisent des causes inutiles de malaise parmi les personnes qui devront jouer un rôle dirigeant croissant.

C’est pourquoi la guerre contre le bureaucratisme, que le Che a appelé de ses vœux dès avril 1961, bien qu’elle puisse paraître difficile, n’est pas une mission impossible. Chaque jour, il faut lui arracher un petit morceau de son système fortifié nocif. Pas de trêves.