Fidel parle de démocratie, parti unique et élections

Petit retour sur parole... Dix ans déjà !

Partager cet article facebook linkedin email

En mai 2006, Ignacio Ramonet détaillait son livre ainsi : « [Il] s’adresse aux nouvelles générations qui n’ont pas eu accès à la pensée, à l’œuvre de Fidel Castro et qui ont de la difficulté à connaître cette œuvre à cause de la muraille de mensonges, de calomnies et de critiques systématiques concernant la Révolution Cubaine, particulièrement en Europe ». (Extrait de Cent heures avec Fidel).
Alors que les élections à l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire se sont déroulées le 26 mars dernier, nous revenons sur cet extrait du livre d’Ignacio Ramonet, ex-Directeur du Monde Diplomatique.
Tout peut être débattu, voire discuté. Mais avoir accès aux réflexions de Fidel Castro à travers ce livre est sans conteste très enrichissant.
La Pupila Insomne nous fait le plaisir de rediffuser cet extrait.

GD

Publié dans La Pupila Insomne le 24 mars 2023

Extrait du livre « Cent heures avec Fidel » d’Ignacio Ramonet

Fidel et Ignacio Ramonet le 13 décembre 2013

Question : Parlant des institutions politiques à Cuba, je veux vous demander si vous pensez que la structure avec un parti unique ne se révèle pas inadaptée à une société toujours plus complexe que la société cubaine actuelle ?

Réponse : Vous m’ interrogez sur le parti unique, n’est-ce pas ? Plus il acquiert de culture, plus il connaît le monde, plus notre peuple se réjouit de l’unité et plus il l’apprécie. Réellement, je vois le spectacle de ce qui survient dans certains pays qui ont 100 ou 120 partis. Je ne crois pas qu’on puisse idéaliser cela comme forme de gouvernement, ni qu’on puisse l’idéaliser comme forme de démocratie. C’est une folie, une forme d’aliénation. Comment un pays du Tiers-Monde peut-il s’organiser et se développer avec 100 partis ... Cela ne conduit à aucune formule saine de gouvernement.

Dans de nombreux pays, le système électoral classique, traditionnel, avec de multiples partis, se transforme souvent en une compétition de séduction et pas réellement de compétence, d’honnêteté, de talents pour gouverner. Dans une élection de ce type, on finit par choisir le plus séducteur, celui qui communique le mieux avec les masses, celui qui, y compris, présente l’aspect le plus agréable, la meilleure propagande à la télévision, dans la presse ou à la radio, ou bien, à la fin, celui qui a le plus d’argent à dépenser en publicité.

Comme vous le savez bien, parce que vous l’avez analysé dans un de vos livres, dans certains pays latino-américains que je ne souhaite pas mentionner, les campagnes électorales coûtent des centaines de millions de dollars, façon nord-américaine, et des conseillers en image enseignent au candidat comment se coiffer, s’habiller, s’adresser à la population et ce qu’il doit dire ou ne pas dire. Tout ceci est un carnaval, une vraie farce, un théâtre …

Quelquefois, dans ces élections, ne participent que ceux qui ont des ressources financières pour les consacrer à la propagande. Ceux qui ont le plus grand accès aux moyens de communication de masse sont presque toujours ceux qui obtiennent la victoire électorale. Si un candidat de l’opposition ne parvient pas à obtenir des ressources suffisantes pour réaliser une campagne efficace, - ce que les publicitaires nord-américains appellent « une campagne scientifique de publicité » -, il peut perdre les élections. C’est la réalité. Les résultats de ce genre d’élections sont très étranges, essentiellement par la présence de facteurs qui n’ont que peu à voir avec l’aptitude du candidat à gouverner. A Cuba, de surcroît, le parti n’est pas là pour proposer ni choisir les députés comme cela se produit un peu partout … Par exemple, en Espagne, au PSOE, le Secrétaire Général Felipe Gonzalez décidait qui intégrerait le Parlement au nom du PSOE. Une méthode aussi basique que faire une simple enquête, calculer, en plus, l’argent dont ils disposent, la publicité sur laquelle ils peuvent compter ; mais peu importe, s’il estime qu’il obtient 15 à 20 % des voix dans une province, il connaît le nombre exact de députés qui correspond, désigne les candidats et ensuite les citoyens votent pour un parti. Car le parti est une chose abstraite, une organisation et l’électeur vote pour cette chose abstraite ; celui qui choisit concrètement les députés, celui qui les désigne, c’est le parti.

D’autres, comme les Anglais ou les Jamaïcains, ont un scrutin d’arrondissement ; la méthode de l’arrondissement est un peu meilleure, on acquiert une longue expérience au Parlement. En général, les dirigeants des îles des Caraïbes sont plus efficaces et sont mieux préparés que les dirigeants issus de la méthode présidentialiste. Pour nous, un des premiers principes, c’est qu’ici le Parti ne propose pas, c’est le peuple qui propose, les habitants de chaque arrondissement se réunissent en une assemblée et proposent, c’est à dire qu’ils désignent, qu’ils choisissent les candidats qui vont les représenter au Parlement ; là, le Parti ne peut pas intervenir, c’est absolument interdit.

Question : On a du mal à croire que le Parti n’intervient pas...

Réponse : Notre Parti ne propose pas et n’élit pas. Les délégués de circonscription qui sont la base de notre système, le peuple les propose, comme je vous l’ai dit, en assemblée ; pour chaque circonscription, ils peuvent être moins de deux mais pas plus de huit candidats par circonscription et ces délégués, qui constituent l’Assemblée Municipale de chaque Commune du pays, c’est le peuple qui les propose et les élit lors d’une élection où il faut avoir plus de 50 % des voix. L’Assemblée Nationale de Cuba, avec un peu plus de 600 députés est constituée, presque à 50 %, de ces délégués de circonscription qui non seulement ont la tâche de constituer les 286 Assemblées Municipales mais aussi le rôle de postulant aux candidatures des Assemblées Provinciales, de l’Assemblée Nationale. Je ne m’étends pas, mais réellement j’aimerais qu’un jour on connaisse un peu mieux quel est le système électoral de Cuba ; car il est stupéfiant que, de là-bas, au Nord, quelquefois certains nous questionnent : quand y aura-t-il des élections à Cuba ? Nous, les Cubains, pourrions formuler une question et leur dire : « Combien de fois faut-il être multimillionnaire pour arriver à la Présidence des États-Unis ? », ou disons que ce n’est pas nécessairement le candidat multi- millionnaire, mais nous pourrions interroger : « De combien de milliers de millions a besoin le candidat pour être élu président ! » ? et « Combien coûte chaque mandat jusqu‘au modeste mandat municipal ? ». Dans notre pays, cela n’arrive pas et ne peut pas se produire. Les murs ne sont pas remplis d’affiches, on n’utilise pas massivement la télévision avec des messages subliminaux, je crois qu’on les appelle ainsi. Il peut y avoir 2, 3, jusqu’à 8 candidats, normalement de 2 à 3, presque toujours 2 ; parfois c’est l’un des deux qui fait le travail car il connaît le dossier, l’histoire, ils font campagne ensemble et sont des personnes de grande qualité. Et ainsi, la moitié du Parlement est constituée de ces personnes qui sont élues là, dans ces assemblées populaires.

Question : Et ces personnes ne sont pas membres du Parti ?

Réponse : Elles n’ont pas besoin de l‘être, non, du tout. Il s’avère qu’un nombre très élevé d’entre elles sont des adhérents du Parti. Et qu’est-ce que ça démontre ? Simplement qu’ il y a beaucoup de bonnes personnes, beaucoup des meilleures personnes, qui sont dans le Parti. Dans le Parti, il peut y avoir y compris des catholiques, des protestants ; la conscience religieuse n’est pas un obstacle, au début ce n’était pas le cas, je te l’ai déjà raconté.

Question : Mais le Parti s’est ouvert aujourd’hui à des personnes de différentes croyances religieuses.

Réponse : Et le fait que parmi celles qui sont proposées, de 13 000 à 14 000, par la population et qui sont élues dans des élections où il faut obtenir plus de 50 % des suffrages, soient dans leur immense majorité membres du Parti démontre que les femmes et les hommes sélectionnés par le Parti ne sont pas des corrompus, ce sont des gens propres, beaucoup de personnes nouvelles, beaucoup avec une formation supérieure. Et je peux assurer que chaque jour qui passe dans l’histoire de ce pays, de ses luttes, de ses affrontements, de ses batailles, ce peuple est de plus en plus cultivé, il mesure et apprécie l’unité comme une chose essentielle et indispensable.

Question : Dans beaucoup de pays du camp socialiste disparu, être membre du Parti était une manière d’obtenir des privilèges, des prébendes et des faveurs. Cela se faisait plus par intérêt que par conviction et esprit de sacrifice. Il n’arrive pas la même chose à Cuba ?

Réponse : Ce parti n’est pas là pour attribuer des privilèges. S’il y a une obligation quelconque à remplir, le premier qui a le devoir de l’assumer c’est le militant du Parti, qui ne propose pas, c’est à dire que ce n’est pas le Parti qui désigne les candidats au Parlement, ce sont les gens. Le Parti ne choisit pas les députés, ce sont les gens, je le répète, ce sont tous les citoyens qui choisissent les députés. Néanmoins, le Parti dirige, je dirais, de manière idéologique, trace les stratégies mais partage cela avec l’Administration de l’État, avec le Parlement de la République, avec les organisations de masse. C’est un autre concept que celui qui a existé dans d’autres pays socialistes, qui a été source de privilèges, de corruption et d’abus de pouvoir.