La lanterne du phare de Morro

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Voici l’histoire, avec quelques élèments de physique et d’ingénierie, de la lanterne du fameux phare du Castillo del Morro qui se trouve à l’entrée de la baie et du port de La Havane.
Cette histoire montre aussi les liens avec la France, car c’est grâce à l’invention d’un ingénieur français que la lanterne de ce phare peut être vue de loin par les marins qui s’approchent de la côte.
D’après un article de Saúl Larramendi Valdés, Dr. En Science Physique
Source : Juvendud Tecnica

Entrée de la baie de La Havane au milieu du 19e siècle, au premier plan le Castillo del Morro et son phare. Lithographie de Bernardo May (1853)

Depuis que les humains ont pris la mer, les phares sont devenus une nécessité pour les marins.

Les phares sont des tours lumineuses situées quelque part le long de la côte pour assurer le retour des marins sur le continent, des signaux pour guider les navigateurs d’un endroit à un autre.

Les premiers phares marins étaient simplement des buchers enflammés au sommet de tours ou de tours de guet. Apparemment, le nom de phare vient du nom de l’île de Faros, où l’une des sept merveilles du monde, le phare d’Alexandrie, a été construite.

En 1555, une tour de guet d’un ouvrage défensif a été érigée dans la ville naissante de San Cristóbal de La Havane, tout près de l’emplacement actuel du phare de Morro. Son but était de protéger la ville des attaques des pirates et des corsaires. Vers 1700, un siècle après la construction de l’actuel château de Morro, la tour de guet est devenu un phare.

Le phare, qui depuis le XVIIe siècle marquait l’entrée de La Havane la nuit, utilisait l’énergie dégagée par les flammes d’un bucher pour produire sa lumière.

Un phare est utile quand son signal lumineux peut être vu à de grandes distances, de sorte que dès l’origine même de ces tours s’est posé le problème de savoir comment y parvenir. La solution a résidé dans la communion de l’activité scientifique des physiciens et de l’innovation technologique des ingénieurs.

Une source d’énergie se caractérise par sa puissance. La puissance d’une source ne peut être modifiée par aucun dispositif technique, car elle est déterminée par la nature de la source elle-même. Cependant, il est possible de redistribuer sa diffusion en la dirigeant là où elle compte le plus.

La lumière provenant d’une source se propage dans toutes les directions. Évidemment, dans les phares, celle qui n’est pas dirigé dans la direction de l’horizon, d’où viennent les navigateurs qui s’approchent de la côte, n’est pas vu par eux . Cette énergie lumineuse est gaspillée. Si nous redirigeons toute l’énergie lumineuse de la source lumineuse d’un phare vers l’horizon, son intensité dans cette direction sera nettement plus élevée et sa lumière pourra être observée de plus loin. Cela est possible à l’aide de systèmes optiques.

Dans un premier temps on a utilisé des miroirs concaves pour diriger toute la lumière de la source vers la mer.

En 1820, le foyer du phare de Morro est remplacé par une lampe dans laquelle sont utilisés des bougies à huile et cinq miroirs concaves. La lanterne était tournante, ce qui permettait de voir la lumière, bien que faible peut-être, de presque n’importe quel point de l’horizon autour de La Havane.

Gravure de la lanterne installée sur El Morro en 1820. Elle utilisait des lampes à huile et des miroirs concaves pour diriger la lumière vers l’horizon et tournait sur elle-même en effectuant un tour toutes les deux minutes

Une autre solution au problème de la redirection de l’énergie d’une source lumineuse est d’utiliser des lentilles au lieu de miroirs.

Si vous avez besoin de deux lentilles, une de chaque côté de la source lumineuse, et que vous devez également faire pivoter l’ensemble de l’appareil, des problèmes insurmontables se posent : il y a des limites dues non seulement aux dimensions de la structure qui abritera la lampe au sommet de la tour, mais aussi au poids de l’appareil que la tour peut supporter.

Ce problème a été résolu par Augustin-Jean Fresnel (1788-1827) physicien et ingénieur français, grâce à un dispositif optique connu sous le nom de lentille de Fresnel. 

Grace à cette invention l’ensemble de l’appareil optique et mécanique est devenu beaucoup moins lourd, plus compact et facile à utiliser.

En 1823, Fresnel installe son invention pour la première fois au phare de Cordouan, situé sur la côte atlantique de la France. C’est le plus ancien de France encore en activité, déclaré Patrimoine de l’Humanité en 2021.

Le phare de Cordouan en France et sa lanterne à lentilles de Fresnel.

En 1845, la lanterne du phare de Morro a été remplacée par l’actuelle lanterne qui utilise des lentilles de Fresnel, seulement 23 ans après son invention, mais des lampes à huile ont continué à être utilisées pour la source lumineuse.

En 1923, une source d’éclairage au gaz acétylène a été installée et en 1945, et cent ans après l’installation de la lanterne actuelle, le phare de Morro a été électrifié.

Lorsque nous regardons le Morro, son faisceau de lumière est dirigé dans une seule direction horizontale vers l’arrière et vers l’avant à partir de sa lampe, tournant et traversant tout l’horizon. La fréquence à laquelle les phares émettent leurs flashs est caractéristique de chacun d’eux et sert à identifier le phare : Celui du Morro de La Havane émet deux éclairs de lumière toutes les 15 secondes.

Lanterne à lentilles de Fresnel du phare de Castillo del Morro. Il est tout à fait possible qu’il s’agisse de la même que celle que ses fabricants ont présenté à l’Exposition internationale de Paris en 1843 et qu’elle ait été acquise pour le nouveau phare qui était en construction à La Havane dans ces années-là. À la base de la lampe vous pouvez voir le mécanisme qui la fait tourner.

Cette lanterne est un symbole et un signe que Cuba a toujours été à l’avant-garde de la science et de la technologie.

Phare du Castillo del Morro

Lorsque vous franchissez la porte du château de Morro, vous vous sentez transporté 500 ans dans le passé.

Ce n’est même pas en observant depuis la base du phare la belle image de La Havane aujourd’hui que ce sentiment disparaît. Quiconque y viendra, pour visiter son phare, aura devant lui une véritable merveille technologique, un héritage de tous les Cubains qui fonctionne toujours avec la même lampe d’il y a 178 ans.

À notre époque, où les systèmes de positionnement global (GPS) par satellite nous permettent de connaître notre position sur la planète avec une grande précision, on pourrait penser que les phares ne sont plus utiles.

Mais il arrive que les êtres humains n’aient pas leurs propres capteurs pour les signaux satellites. Cependant, nous avons un capteur pour les phares marins : il suffit au navigateur d’observer de ses propres yeux la lumière du phare et s’il observe que deux éclairs de lumière lui parviennent de la côte toutes les 15 secondes, et parce que « la vue faisant la foi », sans aucun doute, c’est qu’il est arrivé à La Havane !