Province de Granma, la galère des transports

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Dans la province sud-orientale de Granma (7,7% de la population de Cuba), célébrée pour des raisons historiques, environ 325 000 personnes habitent en zone rurale ou montagneuse. Se déplacer vers les villes pour aller travailler ou se faire soigner tourne au cauchemar quotidien à cause de la dégradation du transport collectif. Le blocus, qui entrave l’importation de pneus, de batteries, de pièces de rechange, de carburant … et qui réduit ainsi l’opérabilité du parc, « pourrit » littéralement la vie quotidienne des Cubains, surtout de ceux qui vivent dans les zones éloignées et d’accès difficile, soumises, en plus, aux aléas du climat.
Pascale Hébert

Le transport en milieu rural : les « pénibles trajets » aller-retour

Article de Mailenys Oliva Ferrales, Publié dans Cuba Debate le 22 avril 2023

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L’un des principaux problèmes auxquels est confronté le parc automobile des moyens de transport en milieu rural est la pénurie de pneus et de batteries. Photo : Maylenis Oliva Ferrales/ Granma

À quelques mètres de l’arrêt, debout au bord du talus de la route qui relie la communauté rurale de Santa-Úrsula-Dos Ríos au chef-lieu municipal de Jiguaní, Ana Lidia Blanco, en compagnie d’environ une douzaine de personnes, attend avec impatience qu’un transport public passe par là et puisse les emmener à destination. Il est 11 h 40 du matin.

« Cela fait plus de trois heures que je suis ici et aucun véhicule n’est passé » se lamente Ana Lidia qui a manqué aujourd’hui la voiture particulière de sept heures du matin qui va jusqu’à Bayamo, la capitale de la province de Granma.

« Il y a longtemps que cette ligne n’est plus desservie par des omnibus et que nous dépendons des camionnettes et des voitures particulières, dont les prix oscillent entre 100 et 150 pesos pour aller jusqu’à Jiguaní seulement, et ça ne change rien que tu montes ici à Santa Úrsula -ça fait 19 kilomètres- ou que tu montes à Las Palmas, Mijaueco ou à un autre arrêt plus proche de la ville, pour eux le tarif est le même » indique-t-elle.

Ce qu’il y a de sûr c’est que, aussi bien pour Ana Lidia que pour beaucoup d’autres habitants de la province de Granma qui doivent emprunter les transports en milieu rural, se déplacer est devenu un véritable « casse-tête ».

Depuis l’entreprise provinciale de Transport Intégral Granma, Sergio Salgado León, Sous-directeur des Opérations de cet organisme, confirme avec des chiffres « qui parlent d’eux-mêmes » les galères de ceux qui ont besoin de rejoindre les arrêts et les points de transport collectif dans les zones rurales et montagneuses.

« Sur les 86 lignes existantes en zone rurale, on ne dessert actuellement que 46 d’entre elles avec nos moyens propres (les omnibus de l’entreprise), tandis que dans le cadre du Plan Turquino, sur les 86 lignes officielles, on n’en dessert que 28, ce qui représente à peine 32% de ce que prévoit le Plan » rapporte ce dirigeant.

Cependant, il note le fait que, dans le cadre de la stratégie du pays pour pallier la dégradation progressive du parc automobile des entreprises de transport, le processus de délégation de service public à des formes de gestion privées a permis, depuis le début de l’année, d’assurer une bonne partie de la desserte prévue dans le Plan Turquino, « bien qu’on soit loin de satisfaire la demande de ces zones », fait remarquer M Salgado León. « C’est-à-dire qu’aujourd’hui on dessert 31 lignes de la montagne grâce à 16 moyens de transport privés (ce qui fait monter à 59 les lignes desservies dans ces villages), tandis que, dans le reste de la zone rurale –un peu plus mal lotie- on arrive à 17 lignes desservies en plus, » ajoute-t-il.

Pour abonder dans ce sens, le Sous-directeur des Opérations insiste aussi sur le fait que la plus grande difficulté réside dans l’existence du faible nombre de moyens de transport en état marche qui répondent aux exigences techniques pour rouler en montagne ou dans certaines zones rurales d’accès difficile « parce qu’il faut que ce soient des véhicules à double ou triple traction qui garantissent la sécurité des voyageurs ».

“La situation la plus complexe pour l’entreprise est centrée sur l’état technique des moyens de transport, qui se trouve à 33% à cause des difficultés financières qu’affronte le pays pour acquérir des pièces d’importation comme les batteries, les pneus, les moteurs et d’autres composants de rechange » précise M Salgado León.

Ce panorama se complique actuellement avec la pénurie de carburant pour maintenir la fréquence des voyages, ce qui fait que dans toutes les communes de la province de Granma il y a des lignes impactées.[…]).

Yoandris Rodríguez Suros, sous-directeur de l’Unité Entrepreneuriale de Base (UEB) Transporte Bayamo, affirme à ce quotidien que sur les cinq zones qu’ils desservent, la plus impactée est la zone rurale, sur ses six lignes […]

« Pour ces lignes nous disposions de trois semi-omnibus, spécialement conçus et destinés à ces zones à cause de leurs caractéristiques techniques, mais, sur les trois, un seul est en service car les deux autres sont paralysés par des avaries et par le manque de pièces d’importation […].

Dans la commune montagneuse de Guisa […], le directeur de l’UEB […] précise : « la dégradation des routes nous affecte sensiblement car, malgré les efforts que font les chauffeurs dans ces secteurs, lorsque commence la saison des pluies, le terrain se ravine, il ne reste que du caillou et cela diminue la durabilité des pneus » […]

Ainsi peut en témoigner Wilfredo Rosales Carranzana, autoentrepreneur qui a loué un Kamaz à doubles roues motrices pour desservir la ligne Guisa-El Coco, une communauté du Plan Turquino, située à plus de 30 kilomètres du chef-lieu municipal.

« Le véhicule était vraiment très abîmé et nous avons investi pour desservir une ligne très fréquentée, avec des chemins tortueux que n’emprunte pas n’importe quel véhicule »...

Mais Wilfredo sait que le succès de son entreprise consiste à fixer des tarifs qui lui assurent une marge commerciale sans vider totalement les poches déjà bien allégées des passagers. « Ce camion est comme mon enfant. Je le révise tous les jours et je ne le laisse jamais démarrer pour un premier trajet sans un examen de routine, pour éviter que s’accumulent les avaries qui renchériraient la maintenance. De plus, les personnes que je transporte se rendent en général chez le médecin ou au travail, alors j’essaie d’être raisonnable dans mes tarifs. Je suis conscient que le processus de délégation de service public est complexe parce qu’il y en a qui profitent de la pénurie de carburant et des prix élevés des pièces pour jouer sur les prix, mais ce qu’il faut faire, c’est respecter la loi et le contrat » allègue-t-il. […].

Selon le Ministre des Transports, Eduardo Rodríguez Dávila, au cours de ces quatre dernières années, il y a eu une dégradation progressive des capacités de transport de passagers dans toutes ses modalités, ce qui a entraîné une réduction de l’offre de services et de leur qualité. […]