Voir le jamais vu : José María Vitier

Immersif, lors d’une nuit insulaire

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« Avec quatre décennies de vie mises en musique et un piano qui puise à toutes les sources, José María Vitier occupe une place à part au panthéon mythique afro-cubain. Jazz, musique classique ou populaire, musique de film (dont le multi-récompensé Fresa y chocolate), l‘œuvre sans frontières du compositeur continue de briller sur la scène internationale. Avec « Nuit insulaire », le pianiste dévoile un programme augmenté à l’image en temps réel qui revisite nos liens et notre interdépendance avec la nature. Ce concert immersif explore l’univers romantique et lyrique du célèbre compositeur sur le tempo du jazz, et nous transporte avec fantaisie et virtuosité au rythme de l’île où la musique est la nourriture essentielle de l’âme."
NB : L’occasion de se souvenir que notre association, pour fêter le Jour de la Culture cubaine, avait eu l’honneur, le 21 octobre 2022, d’inviter l’immense artiste en concert, à Paris, au Cercle Interallié.
Présentation du CDA de Enghien-les-Bains

Voir le jamais vu : José María Vitier, immersif, dans la nuit d’une île
Publié par On Cuba News le 18 janvier 2024
Par Ángel Marqués Dolz
Traduction Gonzalo Dorado

Les Français savent ce qu’ils font : ils soutiendront la musique d’un compositeur éblouissant et sentimental d’une visualité sans artifices bon marché. La surprise est de taille pour les spectateurs.

Photo : Silvio Rodríguez / Avec l’aimable autorisation du Jazz Plaza Festival.

José María Vitier vit des jours stressants mais heureux. Cet entretien téléphonique avec OnCuba lui prend une demi-heure de son temps précieux, mais « faisons-le maintenant, car je sais par expérience, que dans quelque temps ce sera plus difficile », dit-il, magnanime, en flairant de nouveaux goulets d’étranglement dans son agenda.
A l’heure où nous parlons, il est à trois jours du concert "Noche Insular" (NdT : Nuit Insulaire) et n’aura qu’une seule séance de répétition ce vendredi. L’avion d’Air France transportant la logistique du spectacle du week-end n’a atterri que depuis quelques heures. « I ls sont en train de décharger le matériel et je vais interrompre une réunion qui se déroule chez moi pour échanger avec vous », explique au bout du fil, l’un des plus importants musiciens vivants de Cuba, peut-être le plus renaissant d’entre eux.
Ses partitions témoignent aussi de l’histoire de la musique. Des tambours africains ancestraux batá jusqu’aux timbres électroniques du rock ou du jazz, Entre ces deux points, on trouve de la musique sacrée, de chambre, chorale et de piano, des chansons d’amour ou de malheur, de la musique de scène pour le cinéma ou le théâtre et le ballet et, bien sûr, la musique de l’île, dont les genres interagissent toujours dans un métissage joyeux et inarrêtable dans les fluides de la nation.

L’agitation ne semble pas déranger le compositeur de la musique de « Fraise et Chocolat « (1993), le seul film cubain à avoir frôlé l’Oscar. José María vient d’avoir 70 ans. Il ne cesse de composer, de voyager, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il accepte avec l’enthousiasme de l’ébloui, les nouveautés technologiques, comme cette œuvre immersive qui marquera la rétine et l’esprit de ceux qui viendront au Teatro Nacional le week-end prochain.
Vous y verrez des choses qui ne se produisent que dans les rêves, elles seront relayées par « une technique visuelle/numérique, surprenante et romantique... à l’image de ces vagues du Malecón qui enveloppent le piano de José María Vitier entre la foudre et le tonnerre. « De la pure magie ! », promeut la note du spectacle dirigé par le Français Dominique Roland.
Directeur du Centre des arts de la ville d’Enghien-les-Bains (en banlieue parisienne) c’est une vieille connaissance des artistes cubains. L’aventure culturelle avec José María et son petit groupe avait débuté avec succès dans la capitale française le 10 novembre 2023, pendant le festival "Jazz au Fil de l’Oise".
Enghien-les-Bains est membre du Réseau des villes créatives de l’Unesco dans la catégorie arts numériques.
Quoi qu’il arrive à la salle Avellaneda, la vedette sera la musique, emmenée par l’un de ses plus talentueux et honorables de ses défenseurs ; "A la cape et à l’épée".

Photo : Silvio Rodríguez / Avec l’aimable autorisation du Jazz Plaza Festival.

Une vieille connaissance et une proposition transatlantique

Q : Ce spectacle est-il une réédition de celui vu en France ou implique-t-il des modifications adaptatives compte tenu des possibilités offertes par la salle Avellaneda du Teatro Nacional ?

Ce spectacle a été élaboré et créé dans la salle de concert du Centre for Digital Art, un centre de référence en Europe et l’un des lieux les plus intéressants pour le traitement d’images numériques pour les spectacles en temps réel. Ce sont des techniques assez nouvelles, et le fait que son directeur, Dominique Roland, soit l’une de mes connaissances depuis de nombreuses années, coïncidait avec ce projet.
« Au siècle dernier », il a invité mon groupe à un festival à Bordeaux et séduit par mon travail, il l’a suivi depuis. Nous nous sommes ensuite retrouvés à l’occasion de l’exposition des œuvres de mon épouse, Silvia Rodríguez Rivero, au siège de l’Unesco à Paris. j’ai profité de ce voyage pour donner un concert au centre d’art numérique à Enghien-les-Bains.
Lorsque nous avons quitté le concert "Noche insular" en novembre, nousavons tous deux convenus qu’il fallait le monter à La Havane, car il s’agit d’un spectacle très inspiré par la capitale cubaine. Les images qui sont projetées et manipulées dans la troisième dimension sur scène sont essentiellement des vues de La Havane ; des images en mouvement, pas des photos.

Q : Tout cela a été très rapide, qu’en pensez-vous ?
Oui, en tenant compte du fait qu’il faut apporter une technologie et un logiciel spécifiques qui permettent à chaque numéro d’avoir une visualité différente. C’est le travail de la partie française. Et c’est incroyable que nous ayons réussi à le faire, nous n’y croyons toujours pas vraiment parce que c’est cher, surtout dans notre cas. Apporter les moyens de monter le spectacle était, jusqu’à très récemment, quelque chose qui semblait impossible, mais c’est là qu’est intervenu le soutien des deux ambassades, à Cuba les Centres de Musique de Concert, et nous tous, musiciens, y travaillons ; le soutien d’Air France, a permis le transport de la logistique nécessaire à la réalisation la plus fidèle du spectacle à sa version initiale.

Des Français ravis

Q : Comment le spectacle a-t-il été accueilli à Enghien-les-Bains ?
A part les invités logiques, mes quelques amis et les gens de l’ambassade qui sont venus, le personnel cubain qui travaille là-bas, c’était essentiellement un public français. Ce 10 novembre, nous faisions partie d’un festival de jazz régional, essentiellement français, avec quelques invités étrangers, et nous faisions partie de ce festival.
Bien que le répertoire ait été un tour d’horizon indépendant des genres, comme le sont habituellement mes concerts - dans lesquels il y a presque toujours du jazz, mais aussi du latin jazz, de la tradition cubaine, du lyrique, de l’épique et quelques thèmes dérivés de ma musique de film - cet éclectisme a été très bien accueilli.
En outre, le spectacle était une nouveauté pour moi. J’ai passé de nombreuses années à écrire de la musique pour des images, mais ces messieurs et ces techniciens français ont établit le processus à l’envers : ils ont fait des images pour ma musique, et je n’ai pas contribué à ce processus. En d’autres termes, j’ai presque été surpris avec le public ou les répétitions par ce phénomène visuel qu’ils ont créé avec seulement quelques indications verbales de ma part et, bien sûr, la musique, les démos. Dans certains cas, les démos des répétitions étaient celles que je faisais ici à Cuba. je leur ai envoyées et avec les enregistrements audio déjà réalisés, ils ont eu une « idée visuelle ». C’était comme revisiter, relire la musique, ou réécouter la musique avec un nouvel ingrédient. Dans tous les cas, je trouve, avec beaucoup de réussite !

Photo : Silvio Rodríguez / Avec l’aimable autorisation du Jazz Plaza Festival.

Musique et immersion : un plan incliné ?

Q : Maintenant que tu le dis, José María, cela pourrait être controversé : disons que l’artificialité du spectacle pourrait conduire la musique à un plan inférieur, comme si elle était un chaperon des images. Et n’y a-t-il pas un plan d’égalité entre le visuel et le musical, ou avez-vous travaillé pour une imbrication équilibrée des deux variables ?
Écoutez, il est assez facile et fréquent qu’un spectacle de ce type, ou tout autre spectacle audiovisuel, fasse prédominer le visuel. Cela concerne même la perception des sens. En d’autres termes, on dit qu’une image vaut mille mots, et parfois une image vaut aussi mille sons. Et il ne s’agit pas d’une image, mais de 24 sons par seconde.
Il s’agit d’un discours narratif qui n’est pas anecdotique, mais qui est, comme la musique, fondamentalement poétique, parce que ce n’est pas comme dans un film où il y a une histoire derrière. Ce que nous avons ici, c’est une recréation visuelle des sons, qui se déplace donc essentiellement dans le monde sensoriel et où les sens communiquent les uns avec les autres. Cela dépend beaucoup de chaque spectateur, n’est-ce pas ? Il y a ceux qui se concentrent davantage sur les images et ceux qui écoutent mieux la musique.

Silvia n’est pas là, mais elle est là

Q : Le talent, à la fois graphique et plastique, de votre femme Silvia, est-il d’une certaine manière incorporé dans cette expérience immersive ?
Le talent de ma femme est présent, mais surtout dans ma musique. Dans ce cas, elle a participé avec moi à la préparation, à toutes les suggestions, même à la base esthétique de chaque pièce, que nous avons envoyée par écrit. Elle a donc suivi ce processus pas à pas, et Dominique a beaucoup tenu compte de son avis, bien sûr, car vous savez que Silvia est à la base de tout le phénomène ; en termes de son et de musique.
Elle m’a manqué, je vous le dis sincèrement, et je regrette de ne pas avoir compté comme je le fais d’habitude ces derniers temps, surtout avec la visualité que ses peintures donnent dans la scène ; mais les Français avaient déjà prévu les images.

Q : Tout était déjà cuit...
D’abord, le fait que nous n’ayons pas été ensemble dans le processus, que nous nous étions loin l’un de l’autre, eux là-bas et nous ici. Ensuite, le fait que Dominique avait déjà des idées très bien pensées et élaborées, que Silvia et moi avons également assemblées et validées.

Q : Et que pensez-vous de ces idées françaises ?
Nous les trouvions vraiment belles et nous pensions que c’était suffisant ; il fallait aussi respecter le son, l’intention de la musique et je ne pense même pas que Dominique ait eu une intention directive. Je pense qu’il l’a fait avec humilité et avec beaucoup de talent , nous sommes satisfaits du résultat.
En tout cas, cela fait longtemps que je n’ai pas joué dans un grand théâtre sans la visualité de ses retables et de ses peintures de Silvia. Ce sont vraiment les images dans lesquelles je me reconnais le plus et je retrouve le lien, parce que ce ne sont pas des choses qui s’assemblent ponctuellement pour un concert, mais qui sont nées ensemble. ADN commun et étonnements partagés

Q : Je sais que vous travaillez dans un dialogue créatif ?
Normalement, elle peint, tandis que je compose et vice versa. Nos oeuvres respectives naissent avec un ADN similaire, résultant de nombreuses années de vie et de travail communs. Je pense que c’est notre idéal et que cela continuera de l’être.

Les personnes qui assistent à ce nouveau spectacle, en France comme dans d’autres lieux, en Espagne et même aux États-Unis, s’interrogent avec émerveillement sur les prouesses de cette réalisation.
Le spectacle a été délicatement réalisé a la force ce qui est projeté ou de ce qui est transmis. Il me semble que c’est plus perceptible dans cet espace virtuel trancritpar le biais des écrans. Nous obtenons la sensation d’une réalité exacerbée ; nous travaillons entre deux écrans, un du public et aux musiciens et l’autre en arrière-plan. Ces écrans sont équipés des capteurs d’intensité des changements de la musique. Les effets sont ainsi déclenchés à leur rythme.
Tout cela transmet une grâce en temps réel ; ce n’est pas un effet que l’on projette, ce ne sont pas des images d’un film sur un écran qui sert de scène ou d’arrière-plan. C’est une création exécutée en symbiose avec l’instant musical joué, qui évolue en direct, au rythme de la pièce musicale, impliquant un nombre d’œuvre différentes et égales aux nombre de représentations.

Q : Quel logiciel intéressant...
Oui, parce qu’il est sensible aux changements du contenu musical que vous interprété. Techniquement, je ne peux pas vous en dire plus. Je sais seulement que les variables sonores sont interactives, qu’elles ont un effet sur le résultat visuel. Bien qu’il y ait certaines trames établies pour chaque pièce, les marges dans lesquelles les images vont se déplacer ont été sélectionnées au préalable.
Il y a un jeu qui se déroule dans la manière dont les écrans sont éclairés ; les images apparaissent et disparaissent. Le travail de la lumière est fantastique et captivant. J’espère qu’ils sont en mesure de le reproduire ici aussi.
Nous sommes très enthousiaste à l’idée de renouveller cette experience artistique novatrice à La Havane ; l’énergie positive dégagée est toujours bien reçue et j’espère que ce public y sera sensible.

Q : Sera-t-il diffusé sur une quelconque plateforme ?
Ces messieurs sont les propriétaires de la production et je suis sûr qu’ils feront le nécessaire pour en tirer le meilleur parti. Le film du concert de novembre à Enghien-les-Bains est achevé. Je ne sais pas ce qui se passera à la Havane. Je formule des vœux pour que le concert soit enregistré par Cuba. Nous mettons tout en œuvre pour proposer la meilleure version de ce spectacle.
Pour La Havane, sur notre proposition, Bárbara Llanes (elle a aussi chanté en France) viendra se joindre à nous à la fin du concert pour le plus grand bonheur de tous. On retrouvera par ailleurs les protagonistes de Paris : Niurka González à la flûte, Yaroldy Abreu et Abel Acosta aux percussions et à la basse également et moi au piano.
Bárbara Llanes marquera la différence avec le programme d’Enghien-les-Bains.

Photo : Silvio Rodríguez / Avec l’aimable autorisation du Jazz Plaza Festival.

Un survivant face au temps

Q : Vous avez récemment franchi le cap des 70 ans. Pour un pianiste, cet âge peut être un ennemi à surmonter, en pensant à la technique, au doigté... Comment faire face au temps qui passe ?
Bon ! On dit que le temps ne passe pas : c’est vous qui passez.

Q : Je suis sûr que c’est le cas. Le temps est éternel. Pas nous.
Eh bien... Une sorte de surprise, ni positive mais pas négative non plus, s’est imposée à moi ;
En réalité, le groupe constitué des personnes de ma génération (sur le plan familial comme sur le plan artistique), en particulier les hommes, n’a pas vécu jusqu’à cet âge de 70 ans. Ni mon frère, ni mes cousins germains (les enfants d’Eliseo Diego et de ma tante Bella), nous étions aussi les meilleurs amis. Et comme je pense que le livre de Job le dit « Et j’étais le seul qui restait pour raconter l’histoire » ; mais grâce à Dieu, je vois cela comme une opportunité de poursuivre mon travail tant que je le peux.
Les perspectives sont différentes lorsque vous atteignez un certain âge. Moi, par exemple, je suis plus intéressé par le perfectionnement de certaines choses. J’ai passé ma vie à explorer mille façons de jouer, de composer, mais au bout du compte, on ne peut pas tout faire à la perfection et personne ne le peut. Finalement, il n’y aura qu’un petit nombre de choses que vous pourrez mieux faire que le reste, vous devez avoir l’honnêteté de réviser l’ambition de vos débuts - et dans une certaine mesure le courage aussi - de vous concentrer sur ces choses, que personne à par vous ne saura faire, et il n’y en a pas beaucoup.
Lorsque j’ai eu 70 ans, j’ai commencé à réfléchir en ce sens. J’ai encore assez d’énergie, de désir pour me concentrer sur ce que je viens de vous dire, pour me concentrer sur les choses que je sais le mieux faire, sur l’écriture pour piano, sur la musique symphonique. j’ai même des œuvres en cours d’écriture, certaines d’entre elles sont déjà achevées.

Q : Dans le cadre de la symphonie ?
Oui, je travaille une sorte de suite pour cordes. Je suis sur le point de terminer une oeuvre, que je n’ai jamais pu achever, jusqu’à maintenant. Elle s’appelle Labyrinthe, elle est également pour cordes. J’aimerais écrire un peu plus de musique chorale, un genre que j’aime beaucoup et pour lequel je n’ai finalement pas autant d’œuvres que je le souhaiterais.
En ce qui concerne les chansons, je suis plutôt serein. Je n’avais jamais écrit de chansons, avant finalement d’en écrire beaucoup. Je les ai presque toute enregistrées avec les meilleurs interprètes imaginables. Cela ne veut pas dire pour autant que je n’écrirai pas une chanson de plus... On enregistre et on joue fréquemment de la musique pour piano, aussi me reste-t-il beaucoup de travail à réaliser pour poursuivre cet axe musical ; cependant, ce n’est pas écrit et c’est ce qui est ce qui est important pour que quelqu’un d’autre puisse les jouer à l’avenir.
C’est une chance d’avoir enregistré presque toute la musique que j’ai écrite.
Cependant, certaines musiques n’ont jamais été enregistrées, d’autres ont été perdues en cours de route. L’année prochaine, je fêterai officiellement mes cinquante ans de carrière. De cette carrière, depuis mes débuts, j’ai conservé des partissions et des documents que je souhaite sauver aujourd’hui grâce à l’ére numérique, de façon plus péreine. Et je peux surtout profiter de l’avantage indéniable d’être en vie.
De fait… C’est ce qui fait toute la différence.

Le projet de la maison et les deux noms de famille

Q : La Casa Vitier García-Marruz, qui semblait à un moment donné souffrir d’un retard pharaonique, a été inaugurée avec bonheur. Comment se déroule le projet ?
C’est très difficile, nous le savions, car il s’agit d’un projet très ambitieux dans ses objectifs spirituels et artistiques.
Ce qui est compliqué, c’est qu’il doit être associé à des activités qui, d’une certaine manière, contribuent à son financement, afin que la mission strictement culturelle puisse être développée.
Comme il ne repose pas sur un capital matériel, mais sur un capital immatériel, sur un patrimoine poétique et sur un patrimoine de pensée, avec des lignes intellectuelles précises, c’est là, disons, le secret pour pouvoir continuer à avancer.
Parce qu’il y a des progrès. Mon fils José Adrián, qui en est le responsable, atteint peu à peu certains objectifs. Il reconnaît que sa vie ne sera pas assez longue pour faire tout ce qu’il a prévu de faire, du point de vue de la préservation documentaire de l’œuvre de mes parents et de la famille en général et du cercle d’amis de la famille, du groupe Orígenes.... Il y a là de nombreux vases communicants de connaissances, de pensées et d’éléments en rapport avec Cuba, qui était vraiment l’obsession de mes parents, surtout dans leurs dernières années. Tout cet héritage doit être transmis et ne pas se perdre, parce qu’il a encore beaucoup à dire dans l’idée que l’on se fait de ce pays.
La Casa a démarré à un moment très compliqué ; mais c’est comme cette interview, si vous m’aviez demandé un peu plus tard, le moment aurait été encore plus délicat. C’est la même chose avec la Casa. Nous aurions pu le faire plus tard, mais qui peut garantir que cela aurait été mieux ? Nous l’avons donc fait au moment où nous devions le faire. C’est ce que je pense. Dans ce genre de situation, il ne faut pas attendre le meilleur moment. Le meilleur moment, c’est quand on a un besoin impératif de faire les choses et que cette impulsion est celle qu’on ne peut pas gâcher. Je crois donc beaucoup à ce projet, dont je suis sûr que mon fils et ses collaborateurs sauront le mener jusqu’à ses ultimes conséquences.

Lezama, tutélaire, maraudeur

Q : Votre spectacle reprend en partie le titre d’un immense poème de Lezama, « Noche insular : jardines invisibles », dans lequel il dit que naître ici est une fête innommable, qui figure d’ailleurs en épitaphe sur votre tombe. Vous promettez que votre concert sera comme cela : une fête sans nom ?
Pour l’instant, il n’est pas innommable. Il s’appelle Nuit Insulaire. Il ne faut pas non plus exagérer la relation de ce nom, qui est la première phrase du grand poème de Lezama ; je n’oserais pas dire qu’il y a un lien au-delà du nom avec la poésie de Lezama. Ce serait très prétentieux de ma part. Je pense que c’est un beau nom et que c’est un nom qui signifie plus que ce qu’il dit, à savoir les nuits de l’île.
Nous avons trouvé ce nom pour le concert en France et nous l’avons gardé ici à Cuba parce que c’est le nom du projet.
Chaque fois que nous entreprenons un projet, nous lui donnons toujours un nom, ce qui revient à mettre une lumière sur le linteau d’une porte pour éclairer l’entrée d’un lieu. Ensuite, la musique suit ses propres chemins, n’est-ce pas ? Mais toujours avec cette conscience de l’insularité et j’espère que ce que nous allons présenter, mérite le titre de Nuit Insulaire. Je l’espère.
Qu’il en soit ainsi. Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps.