Jacques de Sores, l’Ange exterminateur de La Havane (1)

1er épisode

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Nous vous proposons un nouveau feuilleton de l’été.
Il s’agit à nouveau des méfaits d’un Français à La Havane et c’est encore une histoire vraie. Elle est racontée dans notre feuilleton par quatre personnes différentes.
Cela se passe en juillet 1555, 63 ans après l’arrivée de Christophe Colomb.

Jean de Dieppe

Il fallait sortir de la rangée de cayos qui bordaient la côte sans toucher les hauts fonds qui ne manquaient pas. Nous étions prêts et les gabiers, comme moi, étaient aux premières loges. Le chef de quart avait prévenu : « Paré à virer lof pour lof ! ». Les chefs de bordée avaient vérifié que les personnels sous leurs ordres étaient à leurs postes et que les manœuvres étaient claires.
Ensuite les commandements se sont enchaînés : « Mettre le hunier carré ! », « border la misaine ! », « envoyez ! », « border plat la grand voile ! » et enfin « choquer les écoutes de grand voile et de misaine ! ».

Un brigantin

Nous avions réussi la manoeuvre et le brigantin, les voiles parfaitement gonflées, avançait à belle allure en longeant la côte atlantique de l’île de Cuba. Nous pouvions observer comment la mer brisait sur les barrières de corail et les cayos qui étaient autant de dangers pour nos bateaux.

Je suis né en Normandie comme mon ancien capitaine, François Le Clerc et mon nouveau, Jacques de Sores et comme eux je suis protestant. Par contre, je ne suis pas noble comme l’est devenu François Le Clerc que l’on surnomme « Jambe de bois ». C’est un fichu bagarreur, toujours premier à l’attaque. En 1549, lors de la prise de Sercq contre les Anglais, il a eu une patte arrachée par un boulet de canon. Il a eu l’idée de la remplacer par un pilon en bois ce qui lui permet de continuer les abordages. C’est le premier à avoir lancé cette mode.

Le roi de France Henri II

Tenez-vous bien ! « Jambe de bois » commandait une flotte de 6 galions, 8 caravelles et 4 pataches, soit 800 marins en tout, dont ma modeste personne, Jean de Dieppe. Notre roi Henri II (le fils de François 1er), a accordé une lettre de course à François Le Clerc. Celle-ci lui donne le droit de piller les bateaux espagnols (et anglais quand on est en guerre avec eux) à condition de lui donner une partie du butin. Nous ne sommes plus des pirates mais des corsaires parce que le roi est devenu notre complice en quelque sorte.

Nous sommes basés à Cherbourg et c’est de là que nous sommes partis en 1553 pour aller ravager San German à Puerto Rico, les îles Mona et Saona, ainsi que Yaguana dans l’île d’Hispaniola. Au retour nous avons fait un arrêt à La Palma, aux Canaries, qui a aussi eu droit à nos bons soins.

L’année suivante, en 1554, nous sommes repartis de Cherbourg, direction Cuba. « Jambe de bois » était persuadé que les Espagnols y avaient trouvé de l’or en abondance.
Nous avons saccagé et rançonné Santiago de Cuba qui était la première capitale de Cuba et le point de départ des Espagnols pour aller chercher les richesses du continent. Il y avait eu des exploitations d’or, mais il n’en restait presque plus rien. Les Espagnols avaient tout ratissé en utilisant les indigènes du coin qui finissaient par disparaitre eux aussi. Alors, ils faisaient de la culture et de l’élevage. Ils vendaient le cuir et la viande boucanée aux bateaux de passage ou dans les îles voisines. Nous y sommes restés deux mois et après notre départ, il ne restait plus grand choses à voler puisque notre butin s’élevait à environ 80 000 pesos, ce qui correspondait à la production d’une année d’or quand on en trouvait encore.

Vous direz que nous sommes des gens répugnants, des voleurs, mais nous volons qui ? Ceux qui sont en train d’extraire les richesses de ces nouvelles régions pour les emmener en Espagne ? Ceux qui ont réduit les Indiens et les Noirs en esclavage ? Alors comme disait ma grand-mère : « voler un voleur, ce n’est pas du vol ! ».

Pour être tout à fait sincère, si le trafic d’êtres humains avaient été plus rentable que la piraterie (enfin la course puisque nous sommes des corsaires), nous l’aurions pratiqué sans aucun problème parce que les questions de morale n’étaient pas vraiment à notre programme de navigation.

Jacques de Sores ou Jean Lafitte

C’est après le coup de Santiago que Jacques de Sores a décidé de se mettre à son compte et que je l’ai suivi. Nous n’avons que deux bateaux dont le brigantin sur lequel je suis, mais cela a été suffisant pour attaquer et piller Puerto Principe il y a deux jours. Nous avons pris tout ce qui avait un peu de valeur et nous avons passé par le fil de l’épée ou du couteau tous les hommes blancs. Nous ne sommes pas des saints donc je vous laisse imaginer le reste et ce n’est pas pour rien que Jacques de Sores est surnommé « L’Ange exterminateur ».

Nous avions entendu parler d’une ville appelée San Cristobal de La Havane où les habitants étaient plus riches que ceux de Santiago.
C’est dans cette direction que nous allions, poussés par des alizés complices.

2ème épisode