Jacques de Sores, l’Ange exterminateur de La Havane (2)

2ème épisode

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Nous continuons notre feuilleton de l’été.

Dans le premier épisode, Jean de Dieppe, nous a raconté sa vie de corsaire français et protestant. Il est sur le navire commandé par Jacques de Sores, surnommé l’Ange exterminateur, qui se dirige vers San Cristobal de La Havane.

Une des habitantes, Maria de Pontevedra, nous en dit plus.

Lire le premier épisode

María de Pontevedra

« ¡Ay de nosotros !” (malheur à nous !). Qu’allons-nous devenir ?

J’ai laissé ma noble famille galicienne pour venir ici et je le regrette aujourd’hui. Mon époux est Juan de Rojas Manrique, le fondateur de San Cristobal de La Havane dans son site définitif et mon frère, Juan de Lobera, est le maire de notre toute petite ville. Celle-ci faisant partie de l’empire de Charles Quint, il n’est donc pas étonnant qu’on y trouve quelques Autrichiens mêlés aux quelques 150 Espagnols.
Nous avons un curé, le père Martín ; un tailleur, Domingo de Talavera et un charpentier, Manuel Juan.

Nous avons fini par nous installer sur la rive occidentale de la grande baie qui fait suite à une sorte de canal qu’on ne voit pas forcément depuis la mer. La première installation sur la rive sud de l’île n’a pas duré longtemps à cause des moustiques et du terrain boueux. Les Indiens appelaient cette région Jabana. C’est ainsi que nous avons appelé notre premier village San Cristobal de la Habana et que le mot jabana ou habana est devenu sabana en espagnol et savane en français.
Après avoir quitté cet endroit insalubre, nous nous sommes installés à l’embouchure d’une rivière au nord de l’île, mais l’eau de celle-ci était salée sur une bonne longueur et l’endroit n’était pas assez sûr.
Finalement, nous nous sommes déplacés vers l’est, à une lieue de là, au bord d’une large baie intérieure pour nous y installer définitivement en espérant que Dieu daigne nous accorder sa protection.

Le premier conseil municipal et la première messe par le peintre français J.B. Vermay.

Le père Martin a cherché un bon endroit pour célébrer la première messe et il a trouvé un grand arbre que nous appelons fromager et que les Tainos appellent « ceiba ». C’est aussi sous cet arbre que se sont tenues les premières réunions de notre conseil municipal. Nous n’avions pas encore de maison mais cet arbre a été notre première église et notre première mairie.

Nos premières maisons étaient en bois copiées sur le modèle des bohíos des Tainos. Les murs de certaines demeures ont été recouverts de terre battue. La notre, construite en pierre, est la plus belle.
Nous pouvons cultiver, faire de l’élevage, vendre du ravitaillement aux bateaux de passage et même effectuer les travaux de carénage et les réparations sur les coques et les voiles.
Les Indiens qui vivaient ici nous ont fourni la main d’œuvre nécessaire et, au fur et à mesure que l’on agrandissait notre domaine, nous les avons repoussés vers leur dernier village appelé Guanabacoa, de l’autre côté de la baie. Leur nombre a diminué rapidement à cause du travail, des maladies et de la tristesse. Nous avons dû acheter des esclaves africains pour les remplacer. Ceux-ci, au nombre de 400 environ, sont installés dans des baraques en dehors du village.

Nous vivons dans la crainte des pirates et des corsaires. Nous avons donc construit un fortin en bois, situé près du fromager que nous avons appelé « La Force ». Nous avons reçu un canon que nous appelons « Le Sauvage » certainement pour nous donner du courage.

Plan de La Havane de 1567. En 1555 les deux forts à l’entrée de la baie et la chaîne n’existent pas encore

Notre empereur, Charles Quint (Charles 1er pour les Espagnols), avait décidé de transférer la capitale de Cuba à La Havane et nous avons donc hérité du gouverneur civil, Gonzalo Pérez de Angulo, sans recevoir plus de moyens pour nous défendre.
Mon frère Juan de Lobera, le maire, a fait un voyage en Espagne pour acquérir de l’armement. Nous disposons donc de 2 autres canons, d’une grande couleuvrine, de 5 arquebuses et de 4 arbalètes. Nous pouvons compter sur 16 hommes à cheval et 65 fantassins plus ou moins bien armés.

Et maintenant, le malheur nous frappe « ¡Ay de nosotros ! ». Il y a deux jours, des chasseurs nous ont appris que des navires longeaient la côte dans notre direction. Mon frère a fait augmenter les gardes de nuit et une sentinelle, placée sur la colline du Morro, surveille jour et nuit, l’entrée de la baie. Chacun doit avoir ses armes avec lui.

La tension s’est transformée en angoisse quand nous avons entendu le bruit du canon tiré depuis la colline du Morro et qui annonçait l’arrivée tant redoutée des pillards.
Aussitôt une douzaine d’hommes armés ont retrouvé mon frère devant le fortin et nous avons vu arriver le gouverneur, Gonzalo Pérez de Angulo accompagné de trois autres personnes.
Cependant, les bateaux ne sont pas entrés dans la baie et ont continué leur route. Deux cavaliers sont partis pour les suivre depuis la côte et sont revenus au galop pour nous annoncer qu’ils avaient jeté l’ancre devant la plage, un peu plus à l’ouest et mis les chaloupes à l’eau…

« ¡Manda carallo ! ». Avec la surprise et la colère, ma langue maternelle me revient. Le gouverneur a montré toute sa lâcheté en s’enfuyant avec sa famille, ses meubles, sa troupe et quelques voisins vers le village habité par les derniers Tainos à Guanabacoa. Même si je suis terrorisée, je suis fière du courage de mon frère, un vrai galicien, qui prépare notre défense avec ceux qui sont restés.

3ème épisode