Jacques de Sores, l’Ange exterminateur de La Havane (4 et fin)

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Nous arrivons au dernier épisode de ce feuilleton qui retrace les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés lors de la mise à sac de La Havane par le corsaire français Jacques de Sores en 1555.

Après un jour et une nuit de bataille, les corsaires français se sont emparés de San Cristobal de La Habana.

Le dernier intervenant, Juan de Lobera, maire du village et organisateur de sa défense nous raconte la fin de cette triste histoire.

Lire le 3ème épisode

Juan de Lobera

Cet homme est un démon, un véritable envoyé du diable. Je l’ai vu profaner, depuis son navire, des objets religieux certainement volés dans des églises. Son regard est terrible et j’ai le sentiment que la vie de mes concitoyens ne tient qu’à un fil. Il mérite bien son surnom : « l’Ange exterminateur ».

Il est persuadé que nous avons de l’or en grande quantité, alors que nos biens se résument à nos vêtements, le produit de nos récoltes, nos esclaves et un peu d’argent résultant de nos échanges avec les navires de passage. Les quelques objets de valeur sont des souvenirs de familles emportés d’Espagne.

J’espère avoir attiré sa sympathie, si cela est possible, grâce au courage avec lequel nous nous sommes défendus, mais cela est fragile, beaucoup trop fragile. Que Dieu nous ait en sa sainte garde !

Si seulement ce couard d’Angulo, avec la troupe dont il dispose, était revenu pendant la bataille pour prendre à revers les Français nous aurions alors eu une chance de les vaincre…
Ceux-ci se sont installés dans les maisons et pour le moment, tout le monde dort.

Quels sont ces cris étranges ? Je sors et j’aperçois une troupe composée d’une petite centaine d’Espagnols dont 9 cavaliers, de plus de 200 Noirs et d’environ 80 Indiens armés de pierres et de bâtons. Le gouverneur Angulo, peut être pris de remords, est revenu de Guanabacoa et a voulu attaquer les Français par surprise. Pour la surprise c’est raté puisque les cris de guerre des Indiens ont réveillé nos occupants.
Ceux-ci savent se battre, ils sont mieux armés. L’affrontement est de courte durée et ils écrasent facilement les assaillants.

Maintenant, Jacques de Sores est furieux et comme il pense que je suis responsable de cette attaque, je crois que ma dernière heure est venue.
Je récite le psaume 129 : « Des profondeurs je crie vers Toi, Seigneur. Seigneur, écoute mon appel !... ».
On dirait que cela fonctionne en ce qui me concerne, mais pas pour tout le monde malheureusement. Il commence par calmer sa colère en passant au fil de l’épée une vingtaine d’attaquants. Angulo n’a la vie sauve que par un miracle injuste. Cet homme, lâche et imbécile, me répugne profondément. Il est indigne de sa charge de gouverneur civil de l’île.

Le chef corsaire exige ensuite une rançon encore plus formidable et nous donne trois semaines pour la réunir. Sa troupe de soudards sera à notre charge pendant ce temps et rien ne nous sera épargné.

Arrivé au délai fixé, nous n’avons pu réunir que 1 000 pesos. La fureur de cet ange maudit devient terrible. Ses hommes commencent alors à saccager le village, puis à l’incendier en massacrant la plus grande partie de la population. Ils ont pendu la plupart des esclaves noirs tout en détruisant leurs baraques. Ils ont même détruit et incendié nos embarcations sur le rivage.

Attaque de La Havane par Jacques de Sores (anonyme)

Finalement, ils ont rembarqué le 5 aout en ne laissant derrière eux que des ruines désolées et 36 survivants désespérés.

Je suis parti en Espagne en emmenant le misérable Angulo comme prisonnier.
Celui-ci fut le dernier gouverneur civil. Il sera remplacé par un gouverneur militaire, Diego de Mazariegos.

Armes de La Havane

A la suite de mon rapport, le roi d’Espagne prit conscience de l’importance stratégique de San Cristobal de La Havane et ordonna de reconstruire le fortin et d’ajouter deux autres forts, de chaque côté de l’entrée de la baie, un sur la colline du Morro et un autre à La Pointe. Ce sont ces trois forts que l’on retrouve sur les armes de notre ville.

Comme les nouvelles vont vite chez les gens de mer, notre village fut connu comme « la ville pauvre » et on nous laissa tranquilles pendant plusieurs années qui furent mises à profit pour construire les forts et renforcer notre installation.

Il faut aussi savoir que les navigateurs avaient remarqué que les courants marins du large mettaient les bateaux sur la bonne route pour revenir en Europe. C’est une des raisons pour laquelle le roi d’Espagne décidera, en 1561, de concentrer dans notre large baie les navires chargés des richesses d’Amérique et des Philippines avant de les faire partir en convoi pour l’Espagne afin de les protéger des attaques de pirates et de corsaires.

Ainsi notre village va se développer pour devenir une grande ville, mais cela est une autre histoire…

Ancienne carte de Cuba de 1561 établie par le vénitien Girolamo Ruscelli qui indique encore l’emplacement de San Cristobal au sud (S :xpõnal).